Les travaux dans le cadre du bail commercial

Les travaux dans le cadre du bail commercial : des grosses réparations (article 606 du Code civil) à la vétusté (article 1755 du Code civil)

  1. Les catégories de réparations applicables au local commercial

  • Les grosses réparations relatives au local commercial

a) Définition des grosses réparations

L’objet de cette partie est de définir ce qui doit être entendu par le terme de « grosses réparations » selon les dispositions de l’article 606 du Code civil[1], et notamment les travaux affectant les éléments de la structure de l’immeuble loué, comme les interventions sur les toitures, ou d’autres interventions se rapportant à la structure de l’immeuble.

Conformément à l’article 606 du code civil, les grosses réparations sont :

« Celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières.

Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.

Toutes les autres réparations sont d'entretien. ».

Avant 2005, la Cour de cassation estimait que l'énumération des grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil était limitative et non énonciative .

Un arrêt du 13 juillet 2005[2] a marqué, dans ce domaine, une nette évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation.

En effet, cette dernière a abandonné toute référence au caractère limitatif de l'article 606 du Code civil et s'est contentée d'approuver une définition générale donnée par une Cour d'appel de ce qu'il fallait entendre par grosses réparations et réparations d'entretien.

Au sens de l'article 606 du Code civil, les réparations d'entretien sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l'immeuble, tandis que les grosses réparations intéressent l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale.

La Cour de cassation a approuvé la Cour d'appel d'Orléans, dans un cas où le bail mettait à la charge du locataire les réparations locatives ou d'entretien à l'exception des grosses réparations visées par l'article 606 du Code civil, d'avoir décidé que les réparations suivantes, qui visaient à remédier à des inondations et à des désordres dus à des « dispositions constructives inadéquates », entraient dans cette dernière catégorie dès lors qu'elles concernaient la structure et la préservation de l'immeuble :

- Travaux de remise en état des lieux loués après les inondations et travaux destinés à prévenir le risque d'inondation ;

- Mise en conformité de toitures et réfection de l'installation électrique ;

- Reprise d'une fuite d'eau en cave ;

- Réparation d'une canalisation détruite par le gel en raison d'un manque de calorifugeage .

b) Travaux affectant des éléments de structure de l’immeuble loué

o   Interventions sur les toitures

Conformément aux dispositions de l’article 606 du Code civil, la réfection de la toiture d'un bâtiment, dès lors qu'elle est totale, constitue une grosse réparation.

La Cour de cassation a estimé, en présence d'une clause mettant les grosses réparations à la charge du locataire, que la réfection totale de la toiture devait être prise en charge par le bailleur, y compris lorsque le bail portait sur plusieurs bâtiments et qu'un seul d'entre eux était concerné.

Le coût de la réfection de l'étanchéité de la totalité de la toiture de l'immeuble loué incombe au bailleur même en l'absence de « reconstruction de la toiture après démolition ».

Le bailleur doit supporter le coût lorsque la réfection totale de la toiture résulte de surcroît de la vétusté.

En effet, l'article 1755 du Code civil[3] apporte une limite à la possibilité de déroger aux prescriptions de l'article 1720 du Code civil[4] en énonçant qu'aucune des réparations locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté.

Ce texte ne vise que les réparations locatives mais il est étendu par la jurisprudence aux grosses réparations mises à la charge du locataire[5].

Tel est le cas, que le locataire soit tenu des réparations visées par l'article 606 du Code civil[6] ou qu'une clause du bail mette à sa charge les grosses réparations sans faire référence à cette disposition[7].

Le bailleur peut être déchargé de son obligation, au moins pour partie, lorsque la nécessité de réfection totale de la toiture résulte de l'inexécution par le locataire de son obligation d'entretien. Il appartient aux juges du fond de procéder à cette recherche lorsque celle-ci leur est demandée[8].

La solution retenue pour les toitures traditionnelles est applicable aux verrières ou toitures partiellement en verre.

En effet, il a été jugé qu'une verrière ayant vocation à assurer le clos et le couvert d'une salle privative doit, par la spécificité de sa structure et donc de sa réfection, être assimilée à une couverture entière au sens de l'article 606 du code Civil . En conséquence, sa réfection incombe au bailleur dès lors qu'elle est totale[9].

o   Autres interventions

 Parmi les autres travaux affectant des éléments relatifs à la structure de l'immeuble, considérés comme constituant des grosses réparations, on relèvera notamment :

- La réfection de zingueries affectant une partie importante de l'immeuble ;

- La réfection des souches de cheminées, constructions maçonnées indispensables au tirage des cheminées qui font partie des gros murs qu'elles prolongent au-dessus des combles ;

- La réfection d'un plafond qui s'était effondré partiellement à la suite d'infiltration d'eau provenant d'une fissure située au-dessus du linteau en bois de la fenêtre du pignon ;

- Les travaux nécessaires pour remédier au décollement d'un mur de l'immeuble, générateur d'humidité dans les lieux loués ;

- Le remplacement d'un ascenseur dès lors qu'il a pour origine la vétusté et la non-conformité de l'appareil ;

- La réfection totale d'un système de climatisation dès lors qu'elle vise à permettre la conformité de l'immeuble à sa destination et qu'elle est d'une ampleur importante, avec notamment une réorganisation du système hydraulique et une intervention sur les planchers ou encore la remise en état intégrale d'une climatisation incluant le remplacement du compresseur ;

- La réfection des poteaux de façade d'un immeuble de grande hauteur dès lors qu'elle concerne les éléments structurants de l'immeuble ;

- La réparation des fenêtres du local loué dès lors qu'elles assurent le clos de l'immeuble et sa protection contre la pluie.

Néanmoins, il a été jugé que la réparation et le changement de fenêtres ne constituaient pas de grosses réparations, dans un cas où le locataire s'était engagé à réparer et entretenir les fenêtres de l'immeuble loué, le bailleur n'étant tenu qu'aux grosses réparations définies par l'article 606 du Code civil.

Compte tenu de la définition des grosses réparations donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 juillet 2005, certains travaux qui étaient auparavant exclus de la catégorie des grosses réparations peuvent désormais y figurer, la définition n’étant pas exhaustive.

Ainsi, des réparations affectant des canalisations, exclues en 2002, ont été admises en 2005.

De même, il n'est pas certain que la réfection de 190 m² de plancher au rez-de-chaussée d'un local commercial serait encore exclue des grosses réparations, ainsi qu'il a été jugé en 2004[10]

  • Les réparations d’entretien dans le local commercial

a) Le régime légal des réparations d’entretien

Lorsque les parties n'ont rien prévu, les obligations du locataire se limitent aux seules « réparations locatives ou de menu entretien » telles qu'elles résultent de l'article 1754 du Code civil[11].

Cette obligation est la conséquence de la jouissance des lieux par le locataire. Il y est donc tenu à ce titre, même si les réparations concernées ne sont pas imputables à un usage anormal des lieux loués[12].

Il ne peut normalement s'en exonérer que lorsque les réparations sont occasionnées par la vétusté, un cas de force majeure ou un vice de construction.

Aux termes de l'article 1754 du Code civil, les réparations de menu entretien sont celles désignées comme telles par l'usage des lieux, et, entre autres, les réparations à faire :

- Aux âtres, contre-cœurs, chambranles et tablettes de cheminées ;

- Au recrépissage du bas des murailles des appartements et autres lieux d'habitation à la hauteur d'un mètre ;

 - Aux pavés et carreaux des chambres, lorsqu'il y en a seulement quelques-uns de cassés ;

 - Aux vitres, à moins qu'elles ne soient cassées par la grêle ou autres accidents extraordinaires et de force majeure, dont le locataire ne peut être tenu ;

- Aux portes, croisées, planches de cloison ou de fermeture de boutiques, gonds, targettes et serrures.

Cette liste des réparations locatives, qui présente un caractère obsolète certain, n'est pas exhaustive et il appartient aux juges du fond d'apprécier le caractère locatif ou non d'une réparation au sens de l'article 1754 du Code civil.

Ainsi il a été jugé que le ravalement des façades ne constitue pas une réparation locative, même s'il n'affectait pas l'intégrité des gros murs[13].

Les tribunaux peuvent, à titre indicatif, se référer aux travaux de la commission Delmon qui ont donné lieu à l'établissement d'une liste de réparations locatives pour les locaux d'habitation (Circulaire 76-58 du 30 mars 1976), laquelle a été largement reprise par le décret 87-712 du 26 août 1987[14] applicable aux baux à usage d'habitation et à usage mixte d'habitation principale et professionnel.

b) La répartition conventionnelle des réparations d’entretien

La plupart des baux répartissant la charge des réparations entre les parties en vertu des articles 605[15] et 606 du Code civil, il en résulte que les réparations d'entretien couvrent un domaine plus vaste que les réparations locatives de l'article 1754 du Code civil dans la mesure où, aux termes de l'article 606 du code Civil, sont dites d'entretien toutes les réparations qui n'entrent pas dans la catégorie des grosses réparations.

Pour déterminer ce qui entre ou non dans les réparations d'entretien, les tribunaux doivent tenir compte de la définition qui a été donnée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 13 juillet 2005 précité[2] :

« Au sens de l'article 606, les réparations d'entretien sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l'immeuble ».

Cette définition vient en contrepoint de celle retenue par la même Cour pour les grosses réparations qui «intéressent l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale ».

  • Les réparations des locaux loués résultant de la vétusté ou de la force majeure

a) Définitions de la vétusté et de la force majeure

o   La vétusté

La vétusté est définie comme l'état de ce qui est abîmé par le temps. La détérioration des lieux loués ne doit pas avoir été provoquée par un usage anormal ou par le fait du locataire : seul le temps doit avoir provoqué les délabrements constatés.

Ainsi, en l'absence de stipulation contractuelle expresse ayant pour effet de transférer à la charge du locataire les réparations dues à la vétusté, il a été jugé que le bailleur devait remplacer la tour de refroidissement de l'installation de climatisation du bien loué affectée par la vétusté, ce remplacement étant indispensable à l'exercice de l'activité prévue au bail et ne constituant ni une transformation ni une amélioration[16].

Pour apprécier l'existence, ou non, de la vétusté, les juges du fond prennent en compte l'état du bien loué au moment de l'entrée dans les lieux et la durée de la location.

o   La force majeure

Conformément aux dispositions de l’article 1218 du Code civil[17] :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat, et dont les effets ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de ses obligations par le débiteur. ».

L'exonération ne dure donc que le temps strictement requis pour effacer les effets de l'événement et cette durée doit être mesurée en fonction des circonstances particulières de chaque situation. Il s'agit d'une question de fait relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond.

b) Charge conventionnelle des travaux dus à la vétusté ou la force majeure

Le bail peut mettre à la charge du locataire les réparations occasionnées par la vétusté ou la force majeure compte tenu du caractère supplétif de l'article 1755 du Code civil.

Toutefois, il a été jugé que si le bailleur peut mettre à la charge du locataire l'obligation de prendre en charge les travaux rendus nécessaires par la vétusté de manière expresse, il ne peut pas s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu[18].

A titre d’exemple, pour le remplacement d’une chaudière défaillante, la Cour de cassation a jugé que le remplacement de la chaudière du chauffage central incombait au bailleur même si les clauses du bail mettaient à la charge du locataire toutes les réparations, autres que celles des gros murs et de la toiture, celles-ci ne permettaient pas de lui faire supporter le remplacement de la chaudière du chauffage central nécessité par la vétusté, dès lors que rien n'établissait que le locataire ait eu connaissance de cet état lors de la conclusion du bail[19].

Le bailleur doit veiller à stipuler expressément tout transfert sur le locataire des réparations occasionnées par la vétusté ou la force majeure, car les tribunaux interprètent de manière restrictive ce type de clause.

2. La répartition des travaux entre le bailleur et le locataire

  • La répartition légale des travaux entre le bailleur et le locataire

L'entretien et la réparation des locaux commerciaux constituent des obligations, aussi bien pour le bailleur que pour le locataire, qui sont régies en grande partie par les dispositions de droit commun du code civil sur le bail, ci-dessus précisées, lesquelles fixent les principes de la répartition des travaux entre les parties.

o   Les obligations incombant au bailleur

L’article R 145-35 du Code de commerce[20], instauré par la loi Pinel du 18 juin 2014, est venu préciser la liste des travaux incombant au bailleur :

Ne peuvent être imputés au locataire :

1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent

Le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, d'entretenir le bien en état de servir à l'usage pour lequel il a été loué (article 1719, 2° du Code civil[21]).

Il est également tenu de délivrer le bien en bon état de réparations (article 1720, alinéa 1, du Code civil) et doit, pendant la durée du bail, faire toutes les réparations, autres que locatives, qui peuvent devenir nécessaires dans les lieux loués (article 1720, alinéa 2, du Code civil).

o   Les obligations incombant au locataire

Pour sa part, le locataire est tenu, sauf clause contraire, des seules réparations locatives ou de menu entretien (article 1754 du Code civil), à moins qu'elles ne soient occasionnées par la vétusté ou la force majeure et que les parties n’y aient pas dérogé par une clause (article 1755 du Code civil) sauf si elles concernent les grosses réparations de l’article 606 du Code civil.

  • La répartition conventionnelle des travaux entre le bailleur et le locataire

Il peut être valablement dérogé par des conventions particulières à la répartition de la charge des travaux prévue par le Code civil.

En effet, ne sont pas d'ordre public les dispositions :

- De l'article 1719 du code civil relatives à l'obligation d'entretien du bailleur ;

- De l'article 1720, alinéa 1, du code civil, en vertu desquelles le bailleur doit délivrer le bien en bon état de réparations, les clauses par lesquelles le locataire prend les lieux dans l'état où ils se trouvent étant valables. Cela n’exonère néanmoins pas le bailleur de son obligation de délivrance.

- De l'article 1720, alinéa 2, du code civil mettant à la charge du bailleur les réparations autres que locatives qui peuvent devenir nécessaires en cours de bail ;

- de l'article 1755 du code civil selon lesquelles les réparations nécessitées par la vétusté ou la force majeure ne sont pas à la charge du locataire.


ArticlesBenjamin Vidal